Exeat

Dorothea Tanning - Birthday (1942) 

Ce que j'aurais compris de mon enfance sauf que ce n'est pas la mienne,
c'est comment une femme, œuvre d'ennui et de durée, pouvait devenir un meuble
Le style de femme qui vivait dans une maison comme dans un musée,
remplie d'artefacts de sa pertinence, d'une somme démesurée d'attention aux objets, grands ou petits,
de son insolence passée

Tout ce qu'elle avait connu, c'était le monologue creux d'un catholicisme
Conscience qui dans sa vraie vie était rendue terne et redondante,
incapable d'imagination ou de pensée supérieure
qui sert à effacer en oignant la femme au foyer,
qui n'existait qu'au service des autres mais peu souvent au service d'elle-même

Les bras pleins de clous de girofle, de touches de piano, de bâtons de gomme à la cannelle
Il était une fois une ligne qui s'était vue claire jusqu'au bout : 
y = mx+b

Son miroir, témoin d'une grande vulnérabilité, d'un mélange de chagrin ravi,
était sale de détritus du quotidien, de petites taches blanches comme une voie lactée

Ce n'était pas du dentifrice et des taches d'eau mais des écritures et des chiffres, des notes de musique
1 et 0
Des codes de type morse, des runes

Le courage de tant de femmes familières mais inconnaissables, non plus muettes,
non saturées de sainteté mais vivantes avec rage,
transmutant le dédain en hilarité, par la force pure, vivant avec des paroxysmes intenses de tristesse
Catharsis

Il y a un geste parmi les anciens de sa famille, d'un léger détournement, 
quand on évoque ce petit quelque chose de tabou
Des sujets auxquels nous ne sommes pas censés nous référer :
le grand malheur d'un mariage traditionnel
l'adultère
son divorce
sa longue abstinence

Elle avait élevé, dans sa cour, un trône de béton comme un mètre d'armes sous un mauvais jour 
Son monologue intérieur m'aura été fermé dans la solitude des gardiens

C'était sa main froide que je tenais dans la mienne,
une espèce obscure qui dévorait les plaies, qui caressait les larmes

En ce jour, une décennie plus tard, elle continue à vivre dans nos têtes

Que son prénom soit prononcé comme il a toujours été, avec son tréma au milieu
Nous nous souviendrons qu'elle nous attend, rire faible du fantôme, dans le soir bleu,
dans une pièce à côté

Dieu en huissier d'ouverture refabriquera son testament, son psaume, son vampire d'amertume, 
son monolithe d'essai, une fenêtre sur le nouveau
 
Nous nous rappellerons qu'elle n'était pas un monument 
Qu'elle était l'hôtesse de son conservatoire dont nous ne pourrons jamais plus abuser de l'hospitalité
Le temps continuera à transformer les fleurs en vin qui ne se renversera plus à son chevet

Dans un petit cadre en argent terni, une fille, qui porte mon nom, m'observe
Je m'en détourne, sachant trop bien mon visage, mon expression
Pour toutes les saisons, un demi-sourire

Sa statue si belle est semi couchée sans tête, sans bras sur une pelouse
Son piédestal est fissuré et taché des âges qui racontent,
de tous les recoins tapissés de mousse de velours

Encore de belles courbes montrent un amas de lierre comme un manteau dessiné
Certaines lettres en ruine ont peut-être été épelées
Écorcher son prénom mais le fixer dans le marbre immortel où une main humaine a pleinement travaillé

Ici se tenait une Vénus, la dernière touche du ciseau nodal s'y étant attardée
Dans l'ombre d'une légende, quand l'image sur la pierre sera réfractée dans les prismes du passé,
face à mon miroir, je me souviendrai encore
Un tain suffira








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