Consilience

Jan Fabre

Bientôt, le rock chantera des chansons de grand-mère.

Je me promène mentalement dans une petite tribu dans la cabane de bien-être où Kookum avait habité, où elle cherchait ses meules.
Son histoire est ancienne, l'intrigue usée, les pages aussi.
Les chaudes journées d'août où elle restait assise pendant des heures à moudre des cerises de Virginie.
Elle fredonne doucement un cri puis écrase la purée de petites galettes sur des plaques, 
 les recouvre d'écrans pour éloigner les oiseaux,
 les place sur le toit bas de sa cabane sous le soleil brûlant du Dakota du Nord. 
Après qu'elle a vidé son dernier halètement, elle secoue la poussière. 

Je porte un tablier. 
Je fais une pochette sur mon ventre pour y recueillir les baies basses d'une main,
comme Kookum le fait.

À genoux devant un rocher plat, mes tresses attachées, je pile dans les fosses.
Au cœur de l'hiver prochain, je tremperai des galettes pour ensuite les faire frire
 dans de la graisse de bacon, ajoutant de la farine et du sucre.

Quand la rivière sera haute, ce bout de terre de soleil deviendra une scène,
 un spectacle pour chaque chose que nous avions tenue pour dite.
Les palourdes de la taille d'une vignette ressentiront le vif lorsqu'elles tomberont
 ou se jetteront dans le rivage en vue d'une tempête imminente.
Elles halèteront comme Kookum puis glisseront en essayant de se caler.

Le ciel a balayé. Cirrus par big bluestem, travail en zigzag des abeilles.
Les quatre directions d'une boussole signalées par des coquelicots.
Du vent pour faire danser un carillon.
Rassembler tout ce qui est scintillant dans un caniveau, tout ce qui a dégringolé dans les vagues,
tout ce qui est tombé en flammes du ciel car ce ne sont pas, là, nos cœurs brisés seulement.

À la recherche de Black Pepper et d'une bodega, d'une bonne lignée que je reniflerais.
Fixe sur l'Est.
Bulle de proximité, une découpe dans le solaire, un homme gris mange pour mourir de fatigue.
Odeur insolente sous les auréoles, logée dans la peur, dans une caisse amarrée
 d'environ trois lapins noirs boueux stupéfaits.  
De jungle en forêt d'aquarium, de forêt en jungle d'aquarium, senteur méchante,
 ça ne sent pas le vargeux.
Tiens ton âme open pour l'accueillir.
Fais-le errer loin et vaciller, caille tremblante.
Tisse autour de ce voyageur solitaire des incantations brassées et sorties de leur sort.
Déconcerte-le et transforme ce sentier accidenté, qu'à sa fervente fantaisie,
 les ténèbres l'enveloppent.
Je le pousse, mydriase du pâle, forcé, dans une forêt brune, cœur contre mollet.
Ce désir de passer sa vie à s'occuper de ce qui égare.
Au cœur d'un homme blessé joue tout un orchestre qui marche vers l'intrigue,
un lien fatal d'un sacrifice. 

Cet être d'os, qui décroche sans écho, je le porte quelques instants, son artère fémorale contre moi,
 ses pattes raides comme celles d'un oiseau bagué,
ses trous lunaires dans la caisse à poisson du crâne, le verre grisâtre d'un regard perdu,
ses narines granuleuses comme la pulpe d'un mûrier. 
Un âge triste qui ressent quelque chose comme une future crise.
Flûte fluctuante, ombre intérieure mystique, être feutré, un espace laiteux court entre nous. 

Laisse la flamme vacillante jouer autour de lui. 
Que dans ses membres viennent l'acuité du feu, la vie et la joie des langues de souffre,
 et, sortant de toi, bien ficelé et juste,
 qu'il puisse réveiller la beauté que tu as engendrée aux yeux larmoyants.
Laisse le calme de ton esprit le baigner avec ta fraîcheur claire, et, que lâche et fatigué,
 il trouve le repos, tendu vers le calme sur un lit d'ivoire.

Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre qu'on en rêve dans la philosophie, écrivait Shakespeare.
Comme des miracles, comme des changements de pouvoir, comme des changements de climat,
comme les climats politiques s'effondrant dans des calottes glaciaires et polaires,
comme le donjon devenant la couronne,
 comme les intimidateurs, comme des superpuissances à court de carburant,
comme trouver du pétrole dans le donjon de la liberté,
 comme ce dernier devenant une mine d'or,
 comme des poètes inutiles,
comme une voix inutile sortant du cachot
 qui a quelque chose à dire mais ne sait pas comment le commercialiser.
 Comme si vous vous retrouviez pour la première fois heureux,
comme trouver la camaraderie,
comme ne pas aimer l'autre mais porter ses chaussures tout de même,
comme ne pas prendre position,
comme être un patron qui met tout le monde à terre,
comme arrêtez d'être un prédicat et devenir un sujet.

Donner du bleu pour recevoir du jaune, quelque chose de plus grand que la différence.
Nous avions été les meilleurs pour cela, nous en avions été blessés.

Donner a plusieurs visages, plusieurs sons.
Un pour la friction qui aidera à se débarrasser de l'ancien
 puis l'autre pour les eaux qui apaiseront la peau neuve.
Nous donnons parce que quelqu'un nous a donné.
Nous donnons parce que personne ne nous a donné.
Nous donnons parce que donner nous a changé.
Nous donnons parce que donner aurait pu nous changer.

Nos pieds remercieront la poussière.
Nos mains remercieront le ciel, la simple vague.
Nos cuisses remercieront le sol, l'invisible.
 Nos hanches remercieront la lune pour les marées,
l'orbite de la gratitude,
 la musique au-dessus de nos têtes,
la chanson de la mère de nos mères de nos mères. 










Posts les plus consultés de ce blog

Cupidon endormi

Non Troppo

Drift

Anima et Spiritus

Brise menu

Breik

1 et 0

Moi touche-moi touche-moi seulement

Membrane tendue