La Fille Fable

Paul McCarthy


Les premiers jours d'un fantôme sont difficiles.
Il y a tellement de hantises différentes,
Tellement de façons de faire.
Je ne suis pas certaine que nous soyons autre chose qu'un sac de peaux d'impulsions électriques,
de changements tantôt imprévisibles tantôt attendus. 
Je me prépare à mes 48 heures de lobotomisation annuelle.
Je suis trépanée. 
Etre de gauche,
'Tain,
C'est fatiguant. 
Je décide donc de me contenter de la beauté e
ngendrée par d'autres et c'est déjà pas si mal.
Je confirme qu'il existe encore sur cette planète des gens biens, vachement bien,
pour qui c'est une évidence. 
Cela me reprend tout de même, de temps à autre, comme une colique : 
cherche bœuf anabolisé à manger cru avant le roc d'Azur pour la bonne excuse.
Je hais les autres comme je n'apprécie pas la France est une façon de mourir un triste dimanche.
Dire que tous ces cons de gauchiss assistés, p
rofiteurs, moroses et sinistres
 s
e vautrent dans la caricature et la parodie.

Le Français de souche si attaché à ses racines sait-il qu'il pousse à l'envers ?
Que ses cheveux poussent à l'envers ?
A force de draguer, et bien forcément, il ramasse tout ce qui est dans le fond de la cuvette,
et tu n'as pas envie qu'on te confonde avec une vulgaire crevette.
Je ne suis pas tout à fait certaine qu'on puisse nommer cela déchéance,
de nos jours, le fait de ne plus être naturalisé français.

S'accoler deux vocables :
Identité et nation.
Mon nom est légion, clament-ils.

Certaines phrases semblent n'avoir d'autre utilité q
ue de nous aider à refermer sans scrupule
un livre avant sa fin :
emporter la Ravine entière avec soi et cela tombe bien car tout y est.
La beauté que peuvent gagner certaines phrases dés qu'on leur lâche un peu la bride.

Mettre la bague à l'annulaire
Les livres à l'index 
Et les enfants au majeur
Les pauvres, eux, sont laids
Toujours de mauvaise humeur
Sentent mauvais
Et font des fotes d'ortografe 
Ils sont toujours fauchés
Nous n'en voulons pas

Le minoritaire c'est le devenir comme disait l'autre.
Les ouvriers tarés physiquement et mentalement forment une main-d'œuvre stable
 qui se résigne mieux qu'une autre.
Notons leurs guillemets fort peu journalistiques entourant discriminations et préjugés.
Notons aussi les commentaires en réaction qui sont très, disons 17,9 %

Dégradez-vous

Louange aux grandes fenêtres où les immigrés de la cuisine pourraient glisser
 et presque voir du monde.
Entendre le chant d'une nation :
un immigré critique l'immigration.
C'est ballot.

Si l'on parle de celui qui occupe passionnément nos états et nos débats,
il est plutôt en cours de bons traitements, aux petits soins même.
Quant aux idées majoritaires, elles ont moins de couleur que d'odeur et ça ne sent pas le vargeux.
Il est rassurant et apaisant de constater que notre présent s'ancre encore et toujours
aux crocs d'un boucher passéiste.
Les camps de concentration du futur comporteront des espaces détente grâce aux forces de l'ordre
 et aux influenceurs.

Les queues étant plus petites, p
uis-je demander un aspirateur ? 

Relire Arno Schmidt ou Hans Henny Jjann  et se dire "à quoi bon". 
Demain on partira niquer Heidi.

Les deux côtés d'une pièce recto verso peuvent se tromper.
Tonnerre et foudre et notre monde est un autre endroit.
Toute chose morale est un dilemme.
Mon optimisme est tempéré par le mot dégueulasse.
Ces fruits de la peur qui balisent la nuit à la cime des lampadaires. 
Je me réjouis de constater que la liste des cons et leurs séducteurs s'agrandit de jour en jour, 

d'heures en heures. 

La destinée humaine est un chamallow rose et dégueulasse.
Cette petite musique qui élève le cœur voire l'âme.
Des yeux apparaissent chaque nuit et volent le sommeil.
Les orbites sont enfoncés et les paupières épaisses bordées de rouge
 pendent au-dessus des globes oculaires comme des stores dont les cordes sont brisées.
Un couvercle tombe un peu plus bas que l'autre avec l'effet d'un regard tordu.
Entre ces replis de chair, avec leur peu de poils ce cils, les yeux eux-mêmes,
de petits disques vitreux avec un bord d'agate, ressemblent à des galets de mer
dans la poigne d'une étoile de mer.
Sous la pression de ces yeux et de l'insomnie qui en résulte, tout commence à se comporter
de manière très indifférente des intentions morales de base. 

L'Européen blanc se sent dévirilisé.
La pensée n'équivaut pas l'expérience.
Se lever la nuit pour verrouiller sa porte.
Crise cardiaque en attente.
D'une certaine manière, cela me rappelle la puberté, du sang inattendu.

Je ne sais pas si un conseil aurait pu me préparer au passage d'enfant à adulte.
Ce n'est pas grave si je ne suis toujours pas certaine de ce à quoi je veux ma mort ressemble.
J'ai trouvé ma propre voie à travers le triste chemin de l'adolescence et
peut-être dois-je encore trouver mon chemin dans l'obscurité. 


Je n'ai aucune photo ectoplasmique à vous présenter, aucune photo d'enfance ou d'adolescence.
Je ne sais pas si je suis devenue la femme que ces organigrammes de magazines avaient prédit.
Je ne me souviens plus d'ailleurs si j'avais choisi principalement : 
O ou N
Je m'étais retrouvée à feuilleter le dos des magazines
q
ue les mères de mes camarades de classe achetaient quand ils voulaient bien me le prêter.
Le papier était toujours froissé par les mains des filles qui avaient précédé.
A la fin, il y avait souvent un quizz ou un arbre de décision pour vous dire
quel genre de personne vous étiez ou vous deviendriez.
Parfois, il y avait la tache de rousseur d'une marque au stylo
 o
u une initiale pour marquer le chemin du lecteur précédent.
C'était rassurant.
Peut-être avais-je besoin de voir le défilé de filles aux cheveux aplatis et aux paupières brillantes
pour commencer à sentir qui j'aimerais être.

- Et bien dit-il, c'était une créature idiote
Et si j'étais vous, je n'y penserais plus.
- Non, répondit-elle, en se redressant,
Je ne ferais pas ça.
J'y penserai toute la journée et la nuit.


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