Clown

José Paulus.





Un jour,
Un jour, bientôt peut-être
Un jour j'arracherai l'ancre qui tient mon navire loin des mers.
Avec la sorte de courage qu'il faut pour être rien et rien que rien,
je lâcherai ce qui paraissait m'être indissolublement proche.
Je le trancherai, je le renverserai, je le romprai, je le ferai dégringoler.
D'un coup dégorgeant ma misérable pudeur,
mes misérables combinaisons et enchaînement de fil en aiguille.
Vidés de l'abcès d'être quelqu'un, je boirai à nouveau l'espace nourricier.
A coup de ridicules, de déchéances,
(qu'est-ce que la déchéance)
par éclatement, par vide, par une totale dissipation-dérision-purgation,
j'expulserai de moi la forme qu'on croyait si bien attachée, composée,
coordonnée, assortie à mon entourage
et à mes semblables,
si dignes, 
si dignes,
mes semblables.
Réduit à une humilité de catastrophe,
à un nivellement parfait comme une immense trouille.
Ramené au-dessous de toute mesure à mon rang réel,
au rang infime que je ne sais quelle idée-ambition m'avait fait déserter.
Anéanti quand à la hauteur, quant à l'estime
perdu en un endroit lointain (ou même pas), sans nom, sans identité.

CLOWN, abattant dans la risée, dans le grotesque, dans l'esclaffement,
le sens que contre toute lumière, je m'étais fait de mon importance.
Je plongerai.
Sans bourse dans l'infini-esprit sous jacent ouvert
à tous
ouvert à moi-même à une nouvelle et incroyable rosée
à force d'être nul
et ras...
et risible...


(Henri Michaux - 1939 -L'espace du dedans)

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