La vagabonde

 Sandrine Bonnaire. 1985. 




La vagabonde.

Pitoyable sœur ! Que d'atroces veillées je lui dus !
Je ne me saisissais pas fervemment de cette entreprise.
Je m'étais joué de son infirmité.
Par ma faute nous retournerons en exil, en esclavage.
Elle me supposait un guignon et une innocence très bizarres, et elle ajoutait des raisons inquiétantes.
Je répondais en ricanant à cette satanique sœur, et finissais par gagner la fenêtre.
Je créais, par delà la campagne traversée de musique rare, les fantômes du futur luxe nocturne.
Après cette distraction vaguement hygiénique, je m'étendais sur une paillasse.
Et, presque chaque nuit, aussitôt endormie, la pauvre sœur se levait, la bouche pourrie, les yeux arrachés, telle qu'elle se rêvait et me tirait dans la salle en hurlant son songe de chagrin idiot.
J'avais, en effet, en toute sincérité d'esprit, pris l'engagement de la rendre à son état primitif de fille du soleil et nous errions, nourris de vin des cavernes et du biscuit de la route, moi pressé de trouver le lieu et la formule. 
Ah ! cette vie de mon enfance, la grande route par tous les temps, sobre surnaturellement, plus désintéressé que le meilleur des mendiants, fier de n'avoir ni pays, ni amis, quelle sottise c'était.
Et je m'en aperçois seulement.

(Arthur Rimbaud - 1875)


 

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